Dans les anciennes alphabétisations académiques françaises, le Soudan est désigné sous le nom de « L’État de la Bonne Fortune », en raison de sa position géographique reliant l’ensemble des pays africains, de la diversité de ses ressources naturelles et de la richesse de ses cultures africaines. Cette appellation remonte à la période coloniale qui suivit la Conférence de Berlin (1884‑1885), point de départ du partage de l’Afrique par les puissances européennes. Le Soudan a toujours été perçu à la fois comme le reflet du Soudan de l’Est (« Afrique de l’Est ») et la continuité du Soudan de l’Ouest (« Afrique de l’Ouest »), héritier encore aujourd’hui des valeurs, idéologies, politiques et culturelles de la « civilisation historique » soudanaise. Une lecture attentive des manuscrits africains anciens révèle l’influence profonde des civilisations de Karma, Kouch et Meroë, dont l’impact reste profondément ancré dans les consciences africaines, indépendamment des croyances ou appartenances religieuses.
Depuis janvier 2024, les pays voisins immédiats du Soudan — Éthiopie, Kenya, Ouganda, Sud-Soudan, Tchad, République centrafricaine — ont traversé une phase d’euphorie politique, convaincus que les fondements de l’État-nation soudanais (sur lesquels se sont toujours appuyés les descendants des Mocranes dans la vallée du Nil et ses environs) s’effritaient. Pourtant, malgré leur longue histoire politique, ces nations n’ont pas pris conscience que l’État soudanais, quel que soit son envers, ne pourrait être soumis que par lui-même. Cela rejoint les écrits de Jean Marchand, qui déclara lors de sa rencontre avec le ministre français des Affaires étrangères Théophile Delcassé, durant la crise de Fachoda en 1898, en se renseignant sur la réalité intérieure soudanaise :
« Monsieur le ministre, le Soudan ne peut être soumis que par le Soudan lui-même… il nous faut lire abondamment l’histoire de ce peuple avant de le traiter ; nous ne voulons pas que les soldats français répètent ce que disaient les soldats britanniques après leur défaite face aux forces mahdis à la bataille d’Omdourman en 1883 : que “le Soudan est une terre où meurent les empires”, et que notre empire ne périsse pas. »
Malgré les expériences politiques cumulatives des États voisins — qui auraient dû les prévenir contre toute ingérence diplomatique, sécuritaire ou de renseignement dans la crise soudanaise —, leur éparpillement idéologique a annihilé leur capacité décisionnelle, affaiblissant leur crédibilité et leur image collective.
L’annonce du rétablissement progressif des fonctions vitales de l’État soudanais, ainsi que la relocalisation des ministères, institutions publiques et secteur privé à Khartoum, en parallèle à la formation du nouveau gouvernement dirigé par le Premier ministre Dr. Kamel Idriss, a suscité une série d’interprétations divergentes dans les pays voisins. Néanmoins, ces capitales s’accordent sur un point : l’armée soudanaise a instauré, depuis 2023, un nouvel équilibre sécuritaire et de renseignement, qui modifiera sans conteste la vision géopolitique de Khartoum dans sa région. Depuis une perspective africaine, cela signale l’adoption par le Soudan de nouvelles règles pour la sécurité intérieure et une diplomatie novatrice, à la hauteur d’un État ayant triomphé d’une crise existentielle.
Suite à l’annonce imminente du gouvernement « de l’espérance » dirigé par le Dr. Kamel Idriss, il est recommandé à la direction soudanaise, afin de stabiliser la scène intérieure, renforcer la sécurité nationale et garantir l’intégrité de l’État, de se concentrer sur les dossiers suivants :
•Appliquer une « Approche Fragmentaire » (en français “ApprocheFragmentaire”) :
Proposer à Bangui un échange diplomatique autour du projet du « Corps d’Afrique » (« Fielq Afrique ») initié par la Russie, prévu pour 2026. En contrepartie, permettre aux Forces armées soudanaises d’opérer librement dans le nord-est de la République centrafricaine pour surveiller les milices Rapide et couper leurs lignes logistiques.
➤ Convaincre Bangui d’accepter cette initiative russe sans en assumer les frais, en l’indemnisant, comme cela fut le cas pour la milice Wagner. En retour, Khartoum enverra des signaux stratégiques à Moscou, tout en démontrant son influence sur Bangui, contrairement aux échecs de l’approche menée par les fidèles de Khalifa Haftar. À Bangui, les responsables sont connus pour appeler Khartoum « la boussole de la stabilité ».
➤ Montrer à Moscou que les ambitions de Touadéra vont au-delà de la dépendance au Kremlin, comme le montrent ses rapprochements récents avec les États-Unis et la France.
➤ Cet arbitrage diplomatique renforcera la posture de Moscou au Conseil de sécurité et préservera l’influence russe face aux velléités pro‑occidentales de Bangui. Si Bangui résiste, Khartoum peut activer d’autres leviers, comme les factions de PK5 et AAKG dans le sud-est, où une « crise hors de contrôle » sévit depuis mai, en raison du désengagement russe .
Favoriser les liens avec le « Réseau de solidarité des leaders progressistes africains », qui entend élargir son influence auprès de l’Union africaine, de l’ONU et d’organisations régionales. Parmi ses membres figurent Martha Karua, ancienne ministre kenyane de la Justice, et Said Larifou, avocat franco-comorien et candidat à l’élection présidentielle en France. Larifou bénéficie d’un large soutien en Afrique de l’Ouest (ex. Sénégal, Tanzanie, Ouganda). Il est suggéré de confier cette mission à Qutbi al-Mahdi ou à un cadre expérimenté du système qu’il dirige, afin de faire pression sur Nairobi en cas de soutien continu au Rapid Support Forces.
Surveiller l’évolution politico‑stratégique ougandaise, marquée depuis le 15 avril 2023 par une politique fluctuante (« retrait, neutralité, soutien ») vis-à-vis du Soudan. Le président Yoweri Museveni est conscient de la force de Khartoum à déstabiliser la sous-région des Grands Lacs, comme il l’a fait dans les années 1990. Tant que Kampala continue de soutenir les milices Rapide, Khartoum peut miser sur l’essor de l’opposition ougandaise, notamment la National Unity Platform de Robert Kyagulanyi, récemment active également au Congrès américain, facilitant une pression diplomatique internationale.
Se préparer aux développements à Juba, où les divisions récentes au sein du SPLM (opposition sud-soudanaise) pourraient scinder la réception de l’ambassadeur français Alexis Lameth et du représentant Bertrand Couchéri. Si les tensions persistent, elles pourraient déboucher soit sur un gouvernement technocratique de transition, soit sur un conflit armé, avec le risque d’expansion militaire en vis-à‑vis du Soudan.
Mettre en place un groupe de diplômés soudanais du département de français, soigneusement sélectionnés (vérification sécuritaire stricte), pour promouvoir le « Projet du Grand Soudan » — concept évoqué historiquement par Ahmed Mohamed Yassin dès l’indépendance (1956). Ces jeunes diplomates seraient affectés aux ambassades soudanaises en Afrique de l’Ouest, avec un encadrement semestriel assuré par un ancien ambassadeur, afin de raviver les liens historiques et promouvoir la coopération régionale entre le Soudan historique (Nord et Sud), l’Érythrée, le Benishangul, le Tchad, la Centrafrique et le nord de l’Ouganda.
Suivre activement les activités des institutions culturelles africaines (basées uniquement sur le continent) œuvrant pour l’histoire africaine ancienne, et y participer régulièrement. De 1994 à 2019, des organisations comme le CRSAC et le CDAA au Nigeria ont invité le Soudan à contribuer à leurs colloques, invitation rarement honorée.
Une contribution scientifique de la chercheuse est disponible au lien suivant :
https://mogadishucenter.com/2025/06/%d9%85%d8%b4%d8%b1%d9%88%d8%b9-%d8%a7%d9%84%d8%b3%d9%88%d8%af%d8%a7%d9%86-%d8%a7%d9%84%d9%83%d8%a8%d9%8a%d8%b1-%d9%8a%d8%aa%d8%ac%d8%a7%d9%88%d8%b2-%d8%af%d9%88%d9%84-%d8%a7%d9%84%d8%b7%d9%88%d9%82/
Dr Amina Al-Arimi
Chercheuse émiratie spécialisée dans les affaires africaines.
Chercheuse émiratie spécialisée dans les affaires africaines.