Un vieux proverbe africain de la tribu « Ovimbundu » en Angola dit :
« Assure-toi que le diable a deux ailes comme les anges, mais sache lesquelles battent autour de toi. »
Certaines sources sécuritaires françaises, datant des années 1990, rapportent qu’un échange eut lieu en 1994 entre le chef des services de renseignement extérieur soudanais, le général Hachim Abou Saïd, et Philippe Rondot, l’une des figures marquantes du renseignement militaire français. Ce dernier demanda à son interlocuteur : « Pensez-vous pouvoir résister encore longtemps à l’étouffement économique qui vous est imposé ? » Le général répondit : « Oui, si nous le voulons. » Rondot lui répliqua alors : « Nous conclurons bientôt un accord avec vous qui vous dispensera de tester cette volonté dont les conséquences pèseront sur l’avenir de votre peuple et qui, pour nous, constituera une victoire espérée par l’administration française, incapable jusqu’ici de regagner la confiance de ses citoyens après son implication dans l’assassinat du président algérien Mohamed Boudiaf et l’attentat contre le navire Rainbow Warrior.»
Khartoum accepta alors cet accord, dans lequel la France demandait la collaboration du Soudan pour apaiser les mouvements islamistes en Afrique du Nord, ouvrir un canal de communication avec Paris afin d’empêcher l’exportation de la violence armée vers le territoire français, et remettre l’un des criminels les plus recherchés par les services français, Ilich Ramírez Sánchez, connu sous le nom de « Carlos », qui résidait alors à Khartoum. En échange, Paris s’engageait à ouvrir des perspectives économiques au Soudan pour briser l’embargo. Cela explique le soutien de la France à la résolution 1372 visant à lever les sanctions internationales contre le Soudan, ainsi que son obstruction, par la suite, à un projet de résolution au Conseil de sécurité relatif à la situation au Darfour.
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir ce qui empêcherait Paris de conclure un nouvel accord avec Khartoum pour atténuer l’impact des récentes sanctions américaines, d’autant plus que le Soudan détient des dossiers d’influence en Afrique de l’Est, devenue l’une des cibles stratégiques futures de la France. D’ailleurs, des responsables sécuritaires africains de haut rang, que Paris observe avec une certaine crainte mêlée d’inquiétude, continuent de se rendre au Soudan, et la communauté internationale, derrière Paris, est convaincue que le Soudan a su coexister avec les sanctions américaines pendant plus de deux décennies. Qu’elles soient imposées ou levées ne changera pas fondamentalement la donne, car il existe toujours des voies officieuses que Khartoum maîtrise depuis trois décennies et sait contourner à sa guise.
Les sanctions récemment imposées par Washington contre Khartoum ne sont pas étrangères à la décision de la milice des Forces de soutien rapide (RSF) d’interrompre ses opérations militaires contre l’armée nationale soudanaise. Comme nous l’avions mentionné dans notre précédent article, cette décision de la milice n’est qu’une manœuvre américaine visant à réajuster le tempo international, ce que Washington traduit aujourd’hui sous forme de sanctions, précédées de déclarations destinées à préparer l’opinion publique internationale à une campagne menée par plusieurs puissances pour sauver la face après les échecs successifs de la RSF. Ces revers, contraires aux calculs régionaux et internationaux, ont contraint les Américains à reconnaître implicitement leur erreur et amorcer un repli stratégique.
Washington n’attendait pas l’annonce de la milice RSF sur la suspension de ses offensives contre l’armée soudanaise pour perdre son pari. Ce pari était déjà voué à l’échec depuis l’impasse des négociations de Genève. Comme la direction de la milice en est consciente, Washington sait également que la RSF n’est plus maîtresse de son destin. N’était-ce l’état de désintégration des valeurs morales au sein de la milice — terme repris par certaines élites françaises sous l’appellation Désintégration des valeurs morales — aucune puissance étrangère n’aurait osé l’instrumentaliser pour démanteler l’État sous couvert de marginalisation et d’injustice.
Car quiconque souhaite sincèrement le bien et la réforme de sa patrie ne concourt pas à sa chute de l’intérieur, à la destruction de ses institutions légitimes, à l’effacement de son identité historique et à l’érosion de son patrimoine intellectuel et culturel. Il ne saurait non plus accepter un soutien étranger, de quelque nature qu’il soit, pour accéder au pouvoir en échange de la mise à disposition de la souveraineté nationale et de l’avenir de ses enfants. Le peuple soudanais, dans sa diversité, est pleinement conscient des erreurs catastrophiques commises par la plupart des régimes politiques et militaires successifs au pouvoir, mais les tentatives de réforme ont toujours été internes. Ce qui témoigne de la capacité de certaines élites soudanaises à entendre et à corriger leurs dérives lorsqu’elles le souhaitent. Et si ces systèmes politiques ont fauté envers leurs citoyens et n’ont pas toujours répondu à leurs aspirations, cela ne justifie en rien que ces derniers se retranchent dans les rangs d’intérêts étrangers mercenaires et prennent les armes contre leur État.
Lors d’un entretien que j’ai accordé au média français MIDIACTU en novembre dernier, j’avais déclaré textuellement : « La crise soudanaise a commencé par une décision américaine, s’est poursuivie par une décision américaine, et ne prendra fin que par une décision américaine, à moins que la direction soudanaise ne poursuive sa stratégie, qui a prouvé son efficacité depuis août dernier, et ne rejette toute forme de négociation qui ne mènerait pas à la dissolution de la milice RSF, au désarmement de ses troupes et à son exclusion définitive du futur paysage politique et sécuritaire du Soudan. Aucun retour à la situation antérieure au 25 octobre 2021, au 15 avril 2023 ou à avril 2019 ne sera acceptable».
العقوبات الأمريكية على السودان ما بين سقوط المليشيا والتبعثر القيمي