La bataille d’El-Fasher et la résilience de l’État‑nation «Une perspective africaine»

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Les élites francophones du continent africain qualifient la ville soudanaise d’El‑Fasher de « La pierre angulaire », en référence aux débats menés dans de nombreux forums scientifiques culturels africains. Ces derniers y voient un modèle africain contemporain de résistance face au pillage international armé des ressources des États africains, un véritable front empêchant la redéfinition du concept d’État‑nation en Afrique, une perspective pour les écoles de commandement et d’état-major dans l’élaboration d’une doctrine militaire renouvelée, ainsi qu’un cadre opérationnel pour l’éradication des milices transnationales, de leurs différentes allégeances, et l’extraction de leurs racines.

 

Deux constats importants unissent les responsables politiques africains — tout autant que la milice des Forces de soutien rapide (RSF) :

  • Premièrement, la bataille d’El‑Fasher représente pour eux le dénouement sanglant qui scelle le destin historique de l’État soudanais. Même si cette bataille n’est pas l’ultime clou du cercueil, elle marque le moment de la vindicte réclamée par des âmes qui ont été confrontées à une barbarie sans précédent dans l’histoire moderne du Soudan.
  • Deuxièmement, malgré les défaites successives de la milice RSF et sa perte de contrôle sur ses relative faillite morale, politique et militaire, ses tentatives désespérées pour imposer un nouvel ordre politique au Soudan persistent. Non motivées par une conviction idéologique, un principe national, ou une défense sacrée de la patrie, mais uniquement par des calculs de pouvoir — ces fondements ne se forgent pas sur la base d’une idéologie, mais sur une genèse graduellement internalisée qui renseigne sur l’ampleur du sacrifice qu’ils sont prêts à consentir.

 

Les récentes offensives de l’armée soudanaise sur tous les fronts adressent trois messages clairs à la communauté internationale :

  • Premièrement, bien que consciente des réalités du conflit soudanais, cette dernière n’est plus disposée à en prolonger la durée ni à en supporter les conséquences, antérieurement supposées limitées à l’échelle nationale.
  • Deuxièmement, après l’indépendance du Sud en 2011, les acteurs internationaux et leurs alliés ont cessé de considérer le Soudan comme un État doté d’une autorité capable de résistance, de planification et d’affrontement — cette erreur d’évaluation a permis aux milices transnationales de prospérer avec un soutien sans précédent, comparable même aux époques coloniales.

 

Le leadership soudanais a transmis trois messages forts à la communauté internationale :

  • La guerre menée par la milice RSF contre l’armée soudanaise vise l’anéantissement complet de l’État soudanais, de ses ressources, de ses institutions et de son peuple — elle s’affranchit de toute volonté nationale, de justice sociale ou de démocratie; dès lors la confrontation et l’élimination de cette milice deviennent un devoir sacré.
  • L’ensemble des composantes militaires, sécuritaires et civiles soudanaises s’accordent pour voir dans la milice RSF un instrument au service d’un projet géopolitique contraire aux intérêts souverains du Soudan et de la Corne de l’Afrique.
  • Les puissances internationales actives au Soudan doivent reconsidérer leurs positions politiques et sécuritaires face à cette crise, ayant pleinement compris qu’aucun groupe armé hors-la-loi, même rigoureusement soutenu, ne peut servir de relais pour légitimer des gains inadmissibles.

 

Depuis le 15 avril 2023, certains acteurs internationaux et régionaux avaient misé sur la chute d’El‑Fasher, après le contrôle des autres États de la région par la milice RSF. Pourtant, la résistance de la ville a été le prélude à la reconquête de Khartoum. Ainsi, c’est la bataille d’El‑Fasher — et non seulement celle de Khartoum — qui a redéfini le Soudan post-Bashir, mettant en lumière un moment charnière où l’armée soudanaise a démontré sa résilience politique, sécuritaire et stratégique.

 

 Après la libération de Khartoum et l’annonce d’une offensive vers le Darfour, trois visions émergent concernant ElFasher :

  • Vision de la milice RSF : Elle estime que sa survie post-Bashir dépend du contrôle d’El‑Fasher. Sans cela, elle court vers une érosion interne profonde, un danger qu’ils identifient avec le concept de « prédation structurante » en intelligence de sécurité. Pour elle, El‑Fasher représente le dernier espoir de reconquérir la confiance de son noyau idéologique et d’obtenir une reconnaissance internationale pour son gouvernement autoproclamé — et, surtout, un tremplin pour une future reconfiguration politique au Soudan. Même Nadhir Madubī (un dirigeant traditionnel lié au RSF) a avoué : « Si Mutaharrik al-Sayad atteint l’est du Darfour, j’annoncerai ma reddition à l’armée », ce qui reflète la baisse de confiance au sein de ses rangs et la fragilisation du noyau idéologique autour de cette milice.
  • Vision de l’État soudanais : Le leadership voit dans cette guerre une occasion historique unique de restaurer pleinement l’État soudanais. Le Darfour ne sera plus marginalisé; El‑Fasher est perçu comme la seule voie pour éradiquer le projet de partition, renforcer l’unité nationale et démontrer la rupture définitive avec l’ère de « l’Islam politique » du régime d’Al‑Ingaz. Le succès de l’armée à sécuriser la ville a anéanti les plans de formation d’une armée rivale et fracturé moralement la milice.
  • Vision internationale : La communauté internationale reconnaît désormais deux réalités majeures :

♦️ L’armée soudanaise post-Khartoum a évolué vers une doctrine opérationnelle nouvelle, façonnée par trois années de guerre — elle n’est plus une institution passive ou traditionaliste.

♦️ Elle assimile aussi que les institutions sécuritaires soudanaises se préparent à affronter des défis plus vastes que la simple élimination de milices transnationales — une réalité perceptible uniquement par des États véritables, autonomes, sans ingérence ni administration étrangères. Les puissances étrangères perçoivent désormais que la RSF ne tire plus sa force du seul contexte intérieur soudanais, recentré aujourd’hui sur une expérience militaire et politique profondément transformée — clarification qu’on doit à la bataille de la Dignité d’avril 2023.

 

Les développements rapides sur le terrain indiquent que les opérations militaires ne se cantonneront pas à El‑Fasher. Si auparavant la situation dans l’ouest du Soudan dépassait la capacité de l’Etat, la guerre actuelle a offert une opportunité inédite — l’armée, chanceuse dans son timing historique, peut désormais reconstruire l’État de l’intérieur, remettant le Darfour au cœur du projet national : aucun Soudan ne subsistera sans un Darfour libéré et unifié.

 

Scénarios possibles pour El‑Fasher :

  • Scénario 1 : Contrôle total du Darfour par l’armée soudanaise

 

Ce scénario dépend de trois facteurs :

  • Approvisionnement en matériel militaire moderne ;
  • Accentuation des défections au sein de la milice ;
  • Prise de la ville d’El‑Daein, qui bouleverserait l’équilibre RSF, surtout après la menace expresse de Madubī : « Si Mutaharrik al‑Sayad atteint l’est du Darfour, j’annoncerai ma reddition ». De plus, le maillage ethnique entre le Darfour et le Tchad nécessite une stratégie d’intégration tribale spécifique pour soutenir cette progression.
  • Scénario 2 : Reprise d’El‑Fasher par la RSF

La milice puisse miser sur :

  • Des cellules infiltrées à l’intérieur de la ville (notamment après la mort du général Ali Yaqub) ;
  • L’épuisement de l’armée en la tirant vers des engagements imprévus ;

Face à cela, Khartoum insiste que ne pas remporter El‑Fasher équivaut à valider le projet de partition et affaiblir la mobilisation populaire autour de l’armée.

  • Scénario 3 : Maintien du statu quo

Signifie la poursuite des escarmouches sans victoire décisive,

 

dégradant les conditions dans toutes les villes du Darfour, provoquant une crise humanitaire, et incitant une intervention internationale — ouvrant la possibilité d’un projet d’indépendance du Darfour.

  • Scénario 4 : Partage du Darfour

En raison d’un armement continu, un compromis pourrait émerger : un partage territorial de trois États sur cinq.

Ce scénario semble peu probable — l’armée insiste sur l’éradication totale des rebelles, tandis que la milice vise à conserver son contrôle sur ses bastions — mais le Darfour reste un terrain ouvert à toutes les conjectures.

 

Pour consolider l’État-nation soudanais postBashir, les recommandations suivantes sont proposées :

  • Coordination médiatique avec les chaînes africaines pour sensibiliser l’opinion publique sur la menace que représentent les milices rebelles à l’intégrité et à la légitimité des États africains.
  • Influence sur les bastions populaires de la RSF, notamment auprès de la communauté Misseriya, déjà en proie à l’incertitude depuis les avancées militaires dans le Kordofan — comme l’a souligné le journaliste Youssef Abdel‑Manan : « Le projet de Hemeti n’a aucun fondement national — c’est un programme personnel inspiré par diverses agendas extérieurs… » — ce qui explique la multiplication des défections.
  • Création d’une cellule soudanaise spécialisée en « Diplomatie transactionnelle », qui privilégie les dynamiques de puissance économique et sécuritaire sur les alliances traditionnelles à long terme.
  • Intégration à la nouvelle alliance stratégique de la Corne de l’Afrique dirigée par Ankara, afin de légitimer la position de Khartoum et isoler politiquement la milice RSF.
  • Mise en place d’une coalition sécuritaire dirigée par le Soudan pour combattre les groupes armés menaçant les États africains — incluant des partenariats avec le Nigéria, le Cameroun et le Ghana, renforcés par la coopération post-Khartoum dans la lutte contre la RSF.
  • Lancement de programmes médiatiques ciblés pour déconstruire les récits erronés — notamment la comparaison abusive avec la Libye — en s’appuyant sur l’exception soudanaise de sobriété intellectuelle, de souplesse sociale, et de ce que nous appelons la « Haute vision » : la capacité de transformer intellectuellement les individus au-delà de tout point d’arrivée, tout en les ramenant à leur origine — une illustration de la cohésion de communautés idéologiquement divergentes mais unies par leur patriotisme.

 

 

Une contribution scientifique de la chercheuse est disponible au lien suivant :

https://mogadishucenter.com/2025/07/%d9%85%d8%b9%d8%b1%d9%83%d8%a9-%d8%a7%d9%84%d9%81%d8%a7%d8%b4%d8%b1%d8%8c-%d9%88%d8%ab%d8%a8%d8%a7%d8%aa-%d8%a7%d9%84%d8%af%d9%88%d9%84%d8%a9-%d8%a7%d9%84%d9%88%d8%b7%d9%86%d9%8a%d8%a9-%d8%b1%d8%a4/

 

 

Dr Amina Al-Arimi
Chercheuse émiratie spécialisée dans les affaires africaines.

 

 

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