Tournée française dans la Corne de l’Afrique : aspirations et constantes

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Le président français Emmanuel Macron visite la région de la Corne de l’Afrique (du 20 au 22 décembre) alors que le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, sous la présidence de Djibouti, tient aujourd’hui une réunion ministérielle pour confirmer l’intégration des forces éthiopiennes dans la mission de l’Union africaine pour le soutien et la stabilisation de la Somalie (AUSSOM), qui commencera ses opérations en janvier prochain. Les acteurs internationaux n’auraient jamais accepté, à l’unanimité, l’exclusion de la présence éthiopienne de la scène somalienne après que Mogadiscio a accepté la participation de forces égyptiennes à ATMIS (ancienne AMISOM). Les puissances influentes dans la Corne de l’Afrique sont bien conscientes que les tentatives du Caire de limiter l’influence éthiopienne en Afrique en général et dans le bassin du Nil en particulier ne donneront pas les résultats escomptés par l’Égypte. La création d’un « Conseil militaire des pays du bassin du Nil » annoncée par Le Caire, regroupant les dix pays traversés par le Nil, pourrait certes renforcer le rôle de l’Égypte en matière de fourniture d’équipements militaires aux pays en amont et relancer l’industrie militaire égyptienne. Cependant, cela restera dans le cadre d’une coopération et d’une coordination conforme aux intérêts de ces États. L’accueil favorable de Kampala à la participation de l’Égypte à la mission de l’Union africaine de maintien de la paix en Somalie (ATMIS) en octobre dernier ne signifie pas que l’Ouganda rompra sa coopération en matière de renseignement et de défense avec Addis-Abeba. L’Ouganda et les autres pays en amont du Nil partagent en effet la vision éthiopienne, qui vise à développer des mécanismes de croissance bénéfiques pour l’ensemble des pays du bassin. Ce point n’échappe pas à la diplomatie égyptienne, qui sait bien que le sommet de l’Initiative du Bassin du Nil, reporté en octobre dernier, se tiendra au premier trimestre de 2025. Il se déroulera cependant dans un contexte particulier, après que six pays membres ont ratifié l’accord sur la gestion coopérative des eaux du Nil, ouvrant ainsi la voie à la transformation de l’Initiative du Bassin du Nil en une « Commission du bassin du Nil » dotée de larges prérogatives, une évolution que Le Caire rejette fermement. L’Égypte a promis d’investir 100 millions de dollars dans les pays du bassin du Nil (selon le ministre égyptien des Affaires étrangères Badr Abdel Aty), ce qui pourrait améliorer ses relations avec ces États. Mais cela suffira-t-il à obtenir une révision de l’Accord-cadre de coopération ? C’est assurément une question que la France abordera avec Addis-Abeba.

 

La visite du président français en Éthiopie et à Djibouti est liée à la vision future de Paris concernant les principaux pays bordant l’océan Indien, notamment le Kenya et la Tanzanie, qui deviennent des piliers stratégiques de l’influence française hors de ses zones d’influence traditionnelles. Alors que Paris soutient implicitement l’aspiration éthiopienne à un accès maritime, l’annonce récente par Ankara d’une réconciliation entre la Somalie et l’Éthiopie incite la France à relancer l’accord de coopération en matière de défense signé en 2019 entre Addis-Abeba et Paris (suspendu en raison de la détérioration de la situation politique en Éthiopie). Cet accord prévoit la formation des forces navales éthiopiennes, dont 300 personnes ont déjà bénéficié, certaines ayant été envoyées en France pour leur formation. Dans le cadre de son rapprochement stratégique avec Addis-Abeba, Paris pourrait inviter l’Éthiopie à la Conférence des Nations Unies sur les océans et la sécurité maritime, prévue à Paris en 2025. De plus, l’Agence française de développement (AFD) a renforcé récemment sa présence en Éthiopie, finançant des projets d’infrastructure, notamment un projet de fibre optique bénéficiant à six millions de personnes et 2 500 centres de santé. La France s’est également impliquée dans la préservation du patrimoine culturel éthiopien, notamment en finançant à hauteur de 20 millions d’euros la rénovation du palais national à Addis-Abeba. Selon des sources françaises, Emmanuel Macron assistera aux célébrations du jubilé d’argent de l’empereur Haile Selassie.

 

D’un point de vue stratégique, la visite du président français dans la Corne de l’Afrique vise plusieurs objectifs :

  • Soutenir la proposition du ministre djiboutien des Affaires étrangères Mahmoud Ali Youssouf, faite en septembre dernier, en faveur d’une gestion conjointe du port de Tadjourah avec l’Éthiopie.
  • Parvenir à un accord avec l’Éthiopie sur la restructuration de sa dette extérieure de 28 milliards de dollars. Alors que les négociations entre Addis-Abeba et le FMI avancent, Paris espère réévaluer la notation de la dette éthiopienne pour relancer ses crédits et accroître ses investissements, notamment dans le secteur énergétique. La rencontre en octobre dernier entre le ministre éthiopien des Finances Ahmed Shide et le directeur de l’AFD, Rémy Rioux, s’inscrit dans cette logique.
  • Convaincre Addis-Abeba d’intégrer la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), conformément à la vision du Kenya sur l’intégration économique régionale pour apaiser les tensions en Afrique de l’Est. Paris souhaite également renforcer sa coopération sécuritaire et militaire avec l’Éthiopie et le Kenya. La collaboration sécuritaire entre la France et Nairobi remonte à 2004, notamment par la formation d’officiers kenyans au sein du Collège de défense commun français. De plus, Paris cherche à intensifier ses investissements dans l’expansion du port de Mombasa, malgré la présence de la société française CMA CGM dans la région.

 

Dans le contexte du conflit soudanais, la France, en coordination avec Washington, pourrait :

  • Soutenir une initiative turque sous médiation éthiopienne ou djiboutienne pour favoriser une solution politique à la crise.
  • Envoyer Christian Kamara et Frédéric Tisserand, figures majeures de la stratégie sécuritaire française en Afrique, afin de renforcer la présence de Sofema au Soudan et de préparer un retour économique français après la guerre.

 

Depuis 2018, Paris et Washington partagent une vision commune sur l’Éthiopie. Après la réconciliation historique entre Addis-Abeba et Asmara, suivie des conflits internes avec des factions comme le Front de libération du Tigré, les critiques contre Abiy Ahmed se sont multipliées. Cependant, les puissances internationales considèrent ces tensions comme des tentatives de détourner Abiy Ahmed des affaires régionales, freinant ainsi ses ambitions d’union confédérale dans la Corne de l’Afrique. Bien que certaines forces souhaitent son départ, elles trouvent avantageux de le voir accaparé par les problèmes internes plutôt que libre d’accélérer le développement du pays, notamment le projet du Grand Barrage de la Renaissance.

 

Le système fédéral éthiopien est essentiel à la stabilité du pays et aux intérêts internationaux. Contrairement aux revendications séparatistes de certaines factions comme le Front de libération Oromo, les puissances étrangères soutiennent la transformation de la politique éthiopienne en un modèle proche du bipartisme américain, loin des divisions ethniques. Cependant, l’héritage colonial a profondément ancré la politique ethnique en Afrique. Ainsi, l’Éthiopie demeure un acteur clé du continent, et ni l’Égypte ni le Soudan ne peuvent l’ignorer, quelles que soient leurs stratégies régionales.

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